C'est une petite place, aux accès étroits. La place des Affaires. Comme il se doit, elle donne sur la façade de la bourse de Milan. Ce palais, le palais Mezzanotte, fut construit durant l'ère fasciste. Lourde imitation du style classique, il s'impose sur une place trop petite pour lui.
Au milieu de cette place, une sculpture en marbre blanc, lourde imitation du style classique aussi. Le guide écrit ceci : "La façade rationaliste du palais de la Bourse se dresse majestueusement face à l'irrévérencieuse sculpture de Maurizio Cattelan" Voici donc ce qu'il faut penser de l'architecture fasciste et de Cattelan! La majesté et l'irrévérence, sur la place des Affaires. Tout pourrait être dit dans cette alliance.
Que représente cette sculpture? Une main dont le poignet est posé sur un socle et qui est tendue, paume face au palais. Les doigts sont coupés nets, saut le majeur qui reste tendu. L’œuvre s'appelle L.O.V.E. pour Libertà, Odio, Vendetta, Eternità (Liberté, haine, trahison, éternité). C'est un doigt d'honneur en marbre de Carrare de 6 tonnes et de 11 mètres de haut. Une provocation indiscutable. Justement. Et après? Un détournement de la main de Constantin conservée au Capitole à Rome (voir Regard # 4), et après?
Figer dans le marbre des chefs d’œuvre de la Renaissance la main tendue du salut fasciste aux doigts coupés sauf celui de l'insulte et adressé le tout au pouvoir de la finance, c'est un raccourci de l'histoire qui n'éclaire pas beaucoup. L'argent mécène, venant déjà de Mécène l'antique, est aussi l'argent roi. Soit. L'artiste moderne (ici largement post moderne) rejoue la haine du bourgeois, la provocation à l'égard de l'ordre établi et fondé sur l'exploitation et l'argent. Bof.
Moi, j'y vois l'alliance du fascisme et de l'argent, l'un se nourrissant du désir d'ordre de l'autre, lequel met ses moyens au service de ceux qui écraseront le peuple. Car c'est bien cette alliance qui permit l'arrivée au pouvoir des fascistes, plus que les élections. Mezzanotte, l'architecte du palais qui porte son nom, admirait les classiques et les antiques quand il fit le palais de la Bourse. Il fit édifier un palais moderne avec climatisation et écran lumineux le tout dans l'enveloppe vide d'une esthétique antique mise au service du fascisme. Nous étions en 1927. Quand en 2010, Maurizio Cattelan pose sa sculpture, il détourne à sa façon le passé, l'expose avec faste devant ce qu'il paraît déclarer honnir.
Contrairement au guide, j'y vois autoritarisme et servilité. L'artiste a la cote.