La visite du musée permet au regard d'associer les images entre elles, d'associer la lecture d'un texte puis le regard sur l'image, et même de la commenter devant elle. De là le plaisir à écrire sur l'image qu'elle soit reproduite sous nos yeux ou convoquée par l'imagination ; de là l'idée de monter entre elles les images dans un musée imaginaire édité en livre ou dans les planches d'un atlas sur fond noir.
Mais le cinéma a toujours été un peu exclu de cette pratique. La salle obscure et close ne permet de suivre qu'un film, même si désormais les reproductions de ces films permettent de naviguer à notre gré dans les images. Cependant leur association avec d'autres ou avec des textes est moins évidente. La salle de cinéma comme la salle de bains de Psychose tend un rideau qui fait office d'écran sur lequel on projette des affects et de voile s'offrant à être déchiré. Cet écran hypnotique, l'esprit a du mal à s'en écarter, à le déchirer, à l'associer.
Sébastien Rongier dans son essai sur Psychose rend le jeu des associations naturel. Extraire du film un tableau et partir à sa recherche, isoler une actrice et explorer son parcours, chercher les livres dérivés, les films qui prolongent. L'écran se déchire et devient fenêtre sur le monde en faisant dialoguer la fiction et le réel. Dans cet essai, Psychose, film emblématique, redevient un objet parmi d'autres. Il descend de son piédestal pour entrer dans les relations que le regard crée. Rien d'une ironie vengeresse mais plutôt un retour matérialiste au réel.
Ce que tisse son auteur c'est une carte reliant le film à la télévision, à ses suites, aux romans, au tournage, à l'expérience personnelle, aux arts plastiques, à la question du sublime. Alors il devient plus difficile de définir ce qui relève de l'écho, de la référence, de l'emprunt, de la citation ou de la simple circonstance hasardeuse.
Alors le chapitre sur le sublime qui convoque Kant peut paraître saugrenu. Comment à la fois réinsérer le film dans son tissu de fiction et de réalité, le ramener au monde qui l'a fabriqué au plus près des réalités matérielles qui composent les images et se tourner vers Kant pour qui le sublime est une coupure d'avec le réel, un rapport de disproportion fondé sur l'incomparable. Le "point sublime" de la douche mérite examen. Il l'est d'abord quant à la notoriété de la scène. La sidération du regard rompt les liens de comparaison. Mais à l'échelle du film cette rupture paraît programmée. Pour créer du sublime il faut distendre les liens narratifs. Sébastien Rongier rappelle bien que cette scène survient non pas au terme d'un processus qui décrirait comment le crime est ourdi mais par déchaînement de violence subite. Ce déchaînement est la rupture d'une chaîne narrative affaiblie et atténuée afin de ne pas exposer au spectateur trop de savoir et donc d'anticipation. Est-ce kantien de supposer à la réaction sublime une part d'ignorance? Quoiqu'il en soit la fabrication du sublime cinématographique pourrait se condenser dans ce moment où une scène se détache devenant pures images d'émotion, sidération ou ravissement, abolissant ses conditions de production. La fiction se troue, la toile se déchire et comme un miroir elle renvoie au spectateur l'image sans comparaison qu'il a imaginé. Car on sait la part complémentaire de l'imagination du spectateur dans l'horreur de ce meurtre. Cette part devient créatrice non de la scène mais de son sublime. Le spectateur est le seul a pouvoir rompre la continuité d'images cinématographiques pour extraire non des photogrammes mais un fragment continu d'émotion, un scène cernée d'incomparable élevée par la sidération. Cette scène fait corps, devient haptique comme si nous en étions touché. Comme si nous étions mouillés par la douche. D'ailleurs pourquoi la douche?
Et d'ailleurs pourquoi pas une fontaine? Il se passe quelque chose de similaire dans la scène de la fontaine de Trévi dans la Dolce Vita de Fellini. Moment sublime de ravissement, détachable et sidérant. Exporté pur dans notre imagination et décliné sur les produits dérivés...
http://www.marestediteur.com/livre/alma-a-adore-psychose-en-heritage/